Par hasard, ils découvrent une île qui ne figure sur aucune carte
OuestFrance
L’île Sif ne figure sur aucune carte marine. Et pour cause : personne ne connaissait son existence. Elle vient d’être découverte au large de l’Antarctique par des scientifiques. Récit.
1 février 2020. Le RV Nathaniel B. Palmer, un brise-glace américain, navigue en mer d’Amundsen, au sud-ouest de l’Antarctique. À la passerelle de ce navire de près de 100 m, dédié à la recherche scientifique polaire, c’est Pete, le second du capitaine, qui est de quart. C’est lui qui pilote.
Dans cette région, il y a de l’eau, de la glace, un oiseau de temps en temps, un phoque parfois, mais c’est tout. En matinée, Pete repère quelque chose d’inhabituel : un bout de terre émergée. Brouhaha dans l’équipage : à cet endroit, les cartes marines n’indiquent aucune île. Mais il y a pourtant bien quelque chose. « Au début, nous avons pensé que c’était un iceberg qui s’était coincé sur des récifs, il y a des années, et qui avait ensuite suffisamment fondu pour exposer la roche sous-jacente », raconte Sarah Slack dans le journal de bord de l’expédition.
Cette New-Yorkaise, enseignante en sciences à Brooklyn, est à bord du navire. Elle est l’une des membres de l’expédition, dont l’objectif est d’étudier les effets des changements climatiques sur le glacier Thwaites. En un mot : la fonte de ce monstre de glace s’accélère, et ça inquiète tout le monde. Mais à bord, à ce moment-là, c’est surtout la découverte du jour qui intéresse tout le monde.
350 mètres de long
En observant plus attentivement, les scientifiques comprennent que ce n’est pas un récif mais bien une île, rocheuse dont il s’agit. Elle mesure 350 mètres et est encore largement recouverte de glace. Dans la journée, Julia Smith Wellner, géologue marine à l’université de Houston, au Texas, et elle aussi membre de l’expédition, annonce sur Twitter la découverte d’une terre inconnue. Rarissime.
Quel nom lui donner ? Dans un premier temps, celui de Pete – celui a repéré l’île le premier – est avancé. Ce sera finalement Sif, une déesse de la mythologie nordique, aux cheveux d’or. Elle est l’épouse de Thor, le dieu du tonnerre, qui a donné son nom à l’expédition : Thwaites Offshore Research (Thor).
L’île Sif, qui a désormais sa page Wikipédia en Français, est sans doute apparue dans les années 2010. Personne ne l’avait repérée, car les navires sont rares dans les parages. Sa présence avait également échappé aux satellites, à cause de la glace qui la recouvre. « Nous pensons que cette glace faisait autrefois partie du glacier de l’île du Pin, un immense champ de glace flottante qui s’étend vers l’océan », avance Sarah Slack, l’enseignante de New York. À cause du réchauffement climatique, la glace a fondu, et la roche a fini par apparaître.
Une hypothèse que partage l’océanographe et journaliste Giuliana Viglione : « Il est probable que la terre ait été mise au jour grâce au changement climatique », écrit-elle le 21 février dans la revue scientifique Nature. « Comme les glaciers se sont retirés dans l’ouest de l’Antarctique, ils ont relâché la pression sur la croûte terrestre, lui permettant de rebondir et de s’élever », poursuit-elle, citant Lindsay Prothro, géologue glaciaire à la l’université Corpus Christi du Texas.
L’équipage du Nathaniel B. Palmer avait prévu de se rendre dès le lendemain de la découverte sur l’île Sif, pour prélever des échantillons de roche. L’appel de détresse d’un autre navire, bloqué dans les glaces, a retardé ce moment. Pendant une dizaine de jours, ils ont mis de côté leur mission scientifique.
Du granite, de la glace et des phoques
C’est finalement le 23 février qu’ils ont posé le pied sur Sif. « Après avoir été les premiers visiteurs, nous pouvons confirmer que Sif est faite de granite, qu’elle est encore partiellement recouverte de la plateforme de glace et qu’on y croise quelques phoques », a tweeté Julia Smith Wellner.
Des échantillons de roches ont été prélevés. Leur analyse va passionner les scientifiques : « Nous ne savons pas grand-chose de la géologie de l’Antarctique, qui est recouvert de glace, raconte Jim Marschalek, doctorant en sciences de la Terre à l’Imperial College de Londres, dans le journal de bord de l’expédition. Il n’y a pas d’autres rochers affleurants sur près de 70 km dans toutes les directions, donc c’était vraiment une occasion unique. »