Le « Pétomane », l’artiste qui faisait souffler un vent de folie sur le Moulin Rouge il y a 130 ans
OuestFrance
Le Moulin Rouge, au cœur de l’actualité ce 25 avril 2024 pour avoir perdu ses fameuses ailes, a construit sa célébrité grâce à ses danseuses de French cancan, mais aussi avec des célébrités comme Joseph Pujol, dit le Pétomane. L’édition du soir retrace l’histoire de cet artiste qui avait développé un talent très particulier…
Le Moulin Rouge, planté sur le boulevard de Clichy depuis 134 ans, est un lieu emblématique de Paris par sa façade unique, avec ses néons, ses lettres flamboyantes et son fameux moulin, qui s’est retrouvé au centre de l’actualité ce 25 avril 2024 : pour une raison indéterminée, ses ailes articulées se sont effondrées dans la nuit, sans faire de victime.
La célèbre salle de spectacle a construit sa renommée sur ses revues de variété, animées notamment par les danseuses de French cancan. Des artistes très connus en leur temps ont aussi foulé sa scène, tels la Goulue, le Désossé ou la Môme fromage. Mais l’un d’eux a plus particulièrement marqué l’histoire des lieux : Joseph Pujol, dit le Pétomane.
Des spectateurs illustres
À la fin du XIXe siècle, ce Marseillais a attiré des milliers de visiteurs autour de son spectacle unique. Sa spécialité : il émettait des flatulences dans une grande variété de tonalités. Il parvenait en effet à contracter ses muscles abdominaux afin de lâcher des gaz à volonté. À une époque où le public était friand de « curiosités anatomiques », comme les femmes à barbe ou « l’homme éléphant », le succès de cet artiste fut retentissant. Les spectateurs venaient de très loin pour assister à son show, à l’instar de Leopold II, le roi des Belges, du Prince de Galles ou du docteur Sigmund Freud.
Devant son auditoire hilare, le Pétomane imitait des mélodies comme Au Clair de la lune ou La Marseillaise. Il se permettait même de fumer et de jouer de la flûte par l’anus, et parvenait à éteindre des bougies à une trentaine de centimètres derrière lui. « Son numéro le plus fameux, qui déclenche une forme de ravissements, c’est le pet de la couturière, qui imite le bruit d’un tissu qu’on déchire », raconte l’historien Antoine De Baecque dans l’émission d’Arte « Invitation Au Voyage ».
« Une particularité physique spéciale »
Ce talent très particulier, Joseph Pujol l’a découvert quand il était enfant, à l’âge de 8 ans. En 1866, alors qu’il se baigne dans la Méditerranée, il bloque sa respiration et sent son ventre se remplir d’eau. Une fois à terre, il extrait le liquide… et comprend qu’il peut faire la même manipulation avec de l’air. « Son anus fonctionne comme une sorte de poumon qui se remplit d’air, et son sphincter fonctionne comme des cordes vocales. C’est quand même une particularité physique spéciale », poursuit Antoine De Baecque.
Dans les premières années de sa vie, il faut avouer que ce talent de pétomane ne lui sert pas à grand-chose, si ce n’est à faire rire ses amis et ses camarades lors de son service militaire. Joseph Pujol devient boulanger et s’installe à Saint-Jean-du-Var, près de Toulon. En 1887, il se décide tout de même à monter un petit numéro pour valoriser son « art » et loue un local désaffecté. C’est une vraie réussite, portée par le bouche-à-oreille : on se presse de toute la région pour venir le voir.
L’artiste le mieux payé de Paris
Trois ans plus tard, Joseph Pujol tente sa chance dans la capitale. Il est alors repéré par Charles Zidler, le patron du Moulin Rouge, qui a ouvert ce music-hall quatre mois plus tôt. À la recherche d’artistes singuliers, il signe avec lui un contrat d’exclusivité. Il a vu juste : ce nouveau show est un succès, la renommée de son cabaret explose. « Pujol est un maître pour mobiliser son public, l’entraîner avec lui à chanter, à applaudir, résume Antoine De Baecque. C’est un numéro qui déclenche presque une sorte d’hystérie, de folie. » Au début de chaque spectacle, Charles Zidler assure même qu’il y a des infirmières dans la salle, pour prévenir les malaises.
À l’époque, le Pétomane est l’artiste le mieux payé de Paris. Au Moulin Rouge, il touche plus du double que la célèbre comédienne Sarah Bernhardt. Alors quand, en 1894, Joseph Pujol décide de monter son théâtre pour présenter son spectacle, cela déclenche l’ire de Zidler, qui lui intente un procès pour « contrefaçon ». L’artiste perd son procès et est condamné à payer une amende de 3 000 francs. Le patron du cabaret, lui, a perdu sa vedette.
Il retourne à son premier métier
Pourtant, au fil des années, le succès du Pétomane s’essouffle. Le public commence à se détourner de ces « curiosités ». La Grande Guerre marque le coup de grâce de son spectacle. En manque d’argent, Joseph Pujol se retire à Marseille et retourne à son métier de boulanger. Il ne remontera plus sur les planches et décède en 1945.
Son étrange faculté physique aura longtemps intrigué les médecins. Au point que la faculté de médecine de la Sorbonne lui aurait offert une forte somme pour avoir le droit d’examiner son corps après sa mort. Mais sa famille refusa après son décès. Près de 80 ans après sa mort, Joseph Pujol repose toujours à La Valette-du-Var.