Comment les « pulls moches de Noël », autrefois ringards et moqués, sont devenus si tendance
OuestFrance
Au bureau pour faire marrer les collègues, en soirée avec des amis, au réveillon en famille… Avec leurs couleurs vives, leurs motifs naïfs et leurs messages loufoques, les pulls de Noël sont devenus un accessoire incontournable des fêtes de fin d’année. Mais d’où vient cette tradition loufoque et décalée ? L’édition du soir a remonté la pelote…
l y a la version rouge éclatant, vert sapin, blanc comme neige… ou encore mieux, toutes les couleurs mélangées. Avec les pulls de Noël, plus ça pique les yeux, plus c’est réussi ! Et avec une grosse tête de renne, des pères Noël, des petits sapins et plein d’autres motifs naïfs, on atteint le summum du kitch…
Nous en avons eu un beau florilège ce 15 décembre 2023 au siège d’Ouest-France, où une partie de l’équipe était venue avec un chandail « enguirlandé ». C’était le moment ou jamais de sortir ces drôles de vêtements que l’on remise habituellement au fond de son armoire, puisqu’il s’agissait de la journée mondiale du pull de Noël (si si, elle existe bel et bien, le troisième vendredi du mois de décembre). Valentin arborait par exemple un beau spécimen. « C’est ma belle-mère qui me l’a offert il y a deux semaines, et mon fils a le même en version miniature. J’attendais avec impatience de pouvoir le montrer aux collègues ! », confie-t-il.
Au bureau, en soirée avec des amis ou au réveillon, les « fêtes du pull moche de Noël » (« ugly christmas sweater party ») reviennent désormais en force à chaque mois de décembre. Mais au fait, d’où vient cette nouvelle mode, qui a débarqué en France il y a moins d’une dizaine d’années ? Comment le phénomène s’est-il répandu dans le monde entier ? Et quelles sont ses limites ? Voici l’histoire de cette tendance qui a rejoint le sapin, le vin chaud et Mariah Carey au rayon des traditions incontournables des fêtes…
Un clin d’œil sarcastique à nos grands-mères
Ceux qui ont eu une grand-mère ou une tante adepte des « grandes aiguilles » se souviennent peut-être d’avoir un jour reçu un tricot en laine orné de motifs en tout genre, qu’ils ont eu plus ou moins de mal à assumer à l’école ou en public. Le pire étant la version de Noël avec rennes, sapins, flocons et bonhommes de neige. Se faire offrir ce genre de cadeau le soir du réveillon était même une mode au début du XXe siècle aux États-Unis. Peut-être un héritage venu des familles irlandaises ou britanniques, qui avaient l’habitude de se confectionner des vêtements chauds en fin d’année.
Ces présents embarrassants ont été tournés en dérision dès les années 1980 à la télévision américaine par plusieurs personnalités publiques, à commencer par l’humoriste Bill Cosby. « Les comédies goofy (à base de héros gaffeurs) de Noël ont popularisé cette tradition », explique Bamba Sissokho, sales manager chez Y/Project, et auteur d’un mémoire sur le moche à l’Institut français de la mode, cité par Slate .
Le prétendant de Bridget Jones relance la mode
Après cette mise en lumière, les pulls de Noël sont retombés dans l’oubli. Jusqu’à ce qu’un film culte les remettre sous le feu des projecteurs : Le journal de Bridget Jones, sorti en 2001. La scène où apparaît pour la première fois « le beau Mark Darcy », incarné par Colin Firth, est devenue mythique : lors d’une réception au moment de Noël, le prétendant de Bridget est affublé d’un pull particulièrement laid, où une énorme tête de renne se détache sur un fond vert bouteille. Inoubliable !
L’année suivante, comme le relate Le Monde , deux étudiants de Vancouver (Canada) organisent ce qui semble être la toute première « ugly christmas sweater party », couronnée par un prix du pull le plus moche en fin de soirée. Les soirées universitaires s’emparent de la recette, la mayonnaise prend. Si bien qu’au début des années 2010, explique Vox , « les pulls moches étaient partout, les porteurs de pulls ironiques d’une jeune génération se mêlant aux porteurs de pulls sentimentaux d’une génération antérieure ».
Les enseignes de prêt-à-porter s’emparent du filon
Cette nouvelle mode décalée ne tarde pas à déborder des frontières américaines, à l’instar de la fête d’Halloween et de l’opération commerciale du Black Friday. En France, comme le note le quotidien Sud-Ouest en 2017, elle s’installe « pour de bon ». Les enseignes de prêt-à-porter s’emparent du filon, surfant sur le « retailtainment », un concept marketing mêlant « retail » (commerce) et « entertainment » (divertissement). Avec quelques ratés au début. Dès 2014, la marque Kiabi s’y était essayée, sans succès. « Les ventes étaient mauvaises, le côté kitsch rigolo de Noël, à contre-courant des tenues sophistiquées » ne prenait pas, rappelait en 2017 Bénédicte Trentesaux, alors directrice de l’offre exclusive web chez Kiabi, citée par le quotidien régional.
Désormais, les pulls de Noël colonisent les vitrines et les sites de vente en ligne, chaque année, plusieurs semaines avant les fêtes. De plus en plus « second degré » et sophistiqués, avec des messages loufoques, des sapins pailletés et des lumières qui clignotent. On les exhibe fièrement pour faire marrer les collègues, la famille et les amis.
Un championnat du monde dans le Tarn
Preuve que la tradition s’enracine partout en France, de nombreuses associations relayent le phénomène. Des concours du « pire pull » sont organisés à Rouen (Seine-Maritime), Bayeux (Calvados), Trouville… ainsi qu’à Elven (Morbihan), sur le plus grand marché de Noël de Bretagne, qui a même lancé l’an dernier… un ball du pull moche !
Et depuis 2016, le championnat du monde de pull moche a lieu dans le cadre du salon Albi Vintage, dans le Tarn. « C’est un brin de folie et de détente dans la période de rush de la fin d’année, explique à Slate Julie Bergé, organisatrice de l’événement. L’autodérision permet de reposer nos cerveaux. Avec tout ce qu’on a vécu depuis le Covid… »
L’an dernier, ce prix très convoité (plus de 150 participants) a été décerné à Jérôme Viau, un habitant du Maine-et-Loire qui s’est spécialisé depuis 2016 dans le tricotage de pull délurés, dont il assume totalement la laideur. Il les porte même tout au long de l’année au volant de son taxi. Une manière pour lui de donner le sourire à des clients « pas toujours agréables ». « Ce petit bonheur que l’on apporte, il ne coûte pas une fortune », résume-t-il.
Une forme d’autodérision et de nostalgie
Mais alors, pourquoi les aime-t-on autant, ces pulls de Noël ? Au-delà du clin d’œil à nos grands-mères, c’est une forme de retour à l’enfance et de nostalgie selon Vincent Chabault, auteur du livre Sociologie de la consommation, interrogé par Sud-Ouest. Un concept qui parlerait particulièrement aux 15-35 ans, « génération de consommateurs connectée, plus internationale dans ses références culturelles ».
Le pull de Noël est surtout une manière d’affirmer son autodérision. Loin de la mode formatée et des normes du bon goût, on le porte pour montrer qu’on assume son côté kitsch. Dans Slate, Bamba Sissokho va jusqu’à évoquer une « prise de position ». « Ils sont majoritairement portés par pure ironie. Porter du moche est un détournement : cela permet de transformer ce que l’on perçoit, tout en s’affirmant. »
Mais pour Vox, porter un pull de Noël serait aussi le reflet d’un élitisme un peu hypocrite : « On s’autorise la lubie d’un pull de Noël rigolo, tout en insistant sur le fait que, bien sûr, nous ne sommes pas le genre de personne qui pourrait acheter et apprécier un tel objet au premier degré », estime le média américain.
Des pulls qui peuvent coûter cher à la planète
Cette nouvelle mode, comme toutes les autres, n’a donc pas fini de faire débat. Sur le plan environnemental, également. Car elle n’est pas neutre pour la planète. Souvent conçus à base de matières synthétiques, les pulls de Noël sont fabriqués massivement à l’autre bout du monde (Chine et Bengladesh en tête), transportés par bateau ou avion, tout cela pour être portés seulement deux ou trois fois par an.
La question divise entre collègues. « Je ne trouve pas cela très responsable d’acheter un pull qu’on ne portera qu’une seule journée », note ainsi un collègue d’Ouest-France, qui ne participait pas au mouvement, ce 15 novembre. Pourtant, il avait aussi reçu une invitation à une soirée entre amis, avec « pull de Noël obligatoire ». « Je suis bien embêté. Je sens que je vais choisir dans mon armoire un pull moche… mais pas de Noël ! »
Ceux qui ne veulent pas succomber à la tentation consumériste peuvent aussi courir les braderies, recycler des vieilleries et faire preuve d’imagination pour les customiser avec une guirlande et des boules. Un pull moche… mais « maison » !