Il était une fois, et ce n’est pas bien souvent, parce que la propreté ne plaît pas tellement au maître de maison, un jour où la femme du diable avait décidé de faire le ménage en enfer. Vous savez ce que c’est : elle criait, chapaillait et houspillait tout son monde, en remuant seaux, torchons et balais, d’une voix si aigre, que Lucifer a décidé d’aller voir ailleurs s’il y était. Et surtout si c’était plus calme.

Passant près de chez "la sourde", en flânant nez au vent, en chantonnant dans sa barbiche les aventures aérostatiques du révérend père Dupanloup , il voit l’un des fils Brouat voler des poignées de cerises sur les arbres de son voisin. il en arrachait même des branches pour que ça aille plus vite. Il y avait le marché le lendemain samedi, et il comptait bien les y vendre. «Ah Ah le «drolle» ton affaire est faite : tu vas me suivre.
Bien sûr le gosse en voyant la barbiche et la queue fléchée qui dépassait de sous le manteau, a vite compris à qui il avait à faire.
Et le voilà qui prends ses jambes à son cou et s’en va en sautant comme un cabri au dessus des haies, pour tenter de le semer.
"Ah volaille, ce n’est pas si facile que ça de me perdre", en rien de temps le barbichu le rejoint et le prends par l’oreille.

«Pourquoi courir pauvre couillon tu ne sais donc pas que je suis plus rapide que tous les vents» ?
« eh je m’en doute bien répond l’autre en tremblant, j’aurai surtout préféré ne pas vous rencontrer»
«pourtant nous sommes fait pour nous entendre : souviens toi de toutes les briques que vous avez volé avec ta famille, le soir en rentrant du bal, au père Bénédet pour construire l’étable à cochon de ton père, du verger entier que tu as volé au gendre Salban et remplaçant ses jeunes pruniers par des pousses de prunus sauvage, que le pauvre tindaurel a soigné tout le printemps avant d’avoir l’idée de tirer un peu dessus, qu’ils sont venu dans sa main sans effort, puisqu’ il n’y avait pas de racines… et souviens toi aussi de tous les bégonias, que tu as volé, pour que tes soeurs décorent la margelle du puits, que la mémé qui les soignait avec amour les reconnaît bien en venant acheter du lait à ta mère, mais n’ose rien dire pour ne pas faire d’histoire».

«Sauf votre respect, dit l’autre, devenu poli et même obséquieux, après des années de langage de charretier, je ne comptais vraiment pas vous rencontrer» .
«Ne t’en fais pas je te tiens, et puis la route de l’enfer n’est pas si dure, puisque comme on dit : elle est pavée de bonnes intentions»
En gémissant quand même, le drolle, se met en marche toujours tenu par l’oreille, et avec une main de diable vous pouvez imaginer que ce n’est pas folichon.

Comme ils arrivaient à la grotte en bas de la Sylvestrie, qui comme tout le monde le sait cache une des portes de l’enfer, un promeneur vénérable coiffé d’un grand chapeau de paille passait par là, sortant de l'église de Collongues. Il tenait à la main une grande clef, qui semblait bien précieuse : peut-être même en or.
En le voyant Lucifer eut l’air chagrin, d’autant plus quand l’autre le retint par l’épaule.
«n’aurais-tu pas oublié notre accord mon bon Lulu» ?
«Non bien sûr grand Saint Pierre; je voulais juste aller un peu plus loin à l’ombre pour vous attendre». Un mensonge bien sûr s’il n’avait pas été retenu par le bras il aurait emporté le fils Brouat vers les fourneaux d’enfer. sans aucun scrupule.

Le gardien du Paradis s’assoit aussi confortablement qu’il le peut sur une pierre, sort un jeu de cartes tout neuf et se met à les battre. Inquiet l’autre, vieil habitué des cartes truquées; faisait bien attention à ses manches, exigeant même qu’il les relève.
Vous pensez bien que le voleur de poules (et surtout de cerises), n’en menait pas large !
«On se fait un petit tour de «beau mariage» propose Saint Pierre ?

Accepté dit Lulu qui se savait fort dans ce jeu. Un jeu un peu oublié un peu comme le pouilleux ou le mistigri dans lequel il faut allier son jeu à celui de l’adversaire.
Saint Pierre tourne trois cartes, Lucifer tourne trois petits piques et un malheureux as.
Quelle chance il a, se dit le diable.
Saint Pierre tourne encore trois cartes : trois valets et il annonce le beau mariage.
«Vous trichez grand Saint Pierre c’est pas juste»
Pas d’histoire dit Saint Pierre donne moi ton manteau.
De jeu en jeu, le diable perdait un coup sa veste un coup son pantalon, un coup son gilet…Il sait bien qu’une dette de jeu c’est une dette d’honneur, et surtout pour lui, qui hante les tripots pour y pêcher des âmes : difficile de protester.

Il lui restait sa chemise et ses pieds crochus frétillaient comme les pattes d’une buse prise au filet.

Continuons dit Saint Pierre en gardant son calme. Il retourne trois as de coeur alors que l’autre ne peut montrer que trois piques.
«ce n’est pas naturel tant de chance, vous avez trop beau jeu».
«Donnes moi ta chemise» réponds Saint Pierre aussi inflexible qu’il l’est si un damné veut entrer en Paradis.
la pauvre diable donne sa chemise et il ne faisait pas bien chaud.
«Et maintenant la der de der», dit Saint Pierre en abattant encore un «beau mariage».
«J’ai gagné : l’âme de ce pauvre bougre m’appartient»
«Oh non, pas toujours, laissez le moi, soyez brave»

«J’ai gagné dit calmement l’apôtre va-t’en»

Mais avant de s’en aller, voulant se venger alors que le saint montait au ciel, il donne un grand coup de pied au cul du pauvre hère. L’autre monta monta, jusqu’à la porte du Paradis où Saint Pierre avait déjà repris sa place. Il le reçut dans ses bras et lui pardonna ses péchés pour le faire entrer.

Cric cric mon counto es finit.