Il était une fois un brave paysan, et une paysanne qui vivaient dans une ferme du côté de Quinsac (le Quinsac où on fait du clairet qui n’est pas si mal), où les terres sont bien maigres, en dehors du chiendent, rien ne venait bien fort entre les cayrous ces tas de pierres qui bordent les champs comme une digue, ils ont poussés années après années, quand le paysan trouve une pierre il l’y jette dessus et c’est comme ça que ça grossit.

Ils avaient dépensé tout leur argent petit à petit pour élever leurs sept enfants, qui étaient tous partis travailler à la ville, et ne venaient pas les voir bien souvent. Il ne leur restait plus assez pour payer les impôts et même pas les semences pour l’année suivante. Ils avaient terminé de repas en repas, ce qui voulait bien pousser dans leur maigre potager et si le dernier chou avait pu faire une soupe, on ne peut pas dire que ni le salé qui allait avec, ni même la mique avaient été abondants. Il y avait bien eu quelques tristes carottes les dernières et un maigre navet, mais ça ne tiendrait même pas jusqu’à la fin de la semaine. Au poulailler pas grand monde non plus, la dernière poule bien trop vieille ne donnait même plus d’oeufs, et il allait falloir la faire bouillir un brave moment, pour l’attendrir.

Le mari souvenait d’avoir entendu, quand il allait dans les veillées aux fermes voisines, ou au temps lointain où il avait encore de quoi boire un verre au café du village, raconter des histoires à faire frémir, de diables qui sortent de l’enfer et qui donnent de quoi se renflouer. À chaque fois on y perdait son âme, et ma foi, il y tenait. La principale chose qu’il y avait appris c’est qu’il fallait se rendre à la cafourche de chemins, à condition qu’elle ne soit pas protégée par une croix, en principe vers minuit, avec une poule noire sous le bras et crier bien fort «poule noire à vendre».
Voyant que les dernières portions de chou disparaissaient au repas du soir, et que rien n’allait le remplacer, il se décida pour aller demander de quoi se sortir d’affaires : payer les impôts, acheter des semences et surtout pouvoir manger jusqu’à la récolte nouvelle.

Le soir même en pliant sa serviette, il alla chercher la dernière poule noire de sa basse cour et prenant son courage a deux mains, il se trouvait à minuit à une cafourche sans croix et se mettait à hurler «poule noire à vendre». Comme le veut la coutume, un gros chat, tout noir, sans même sous le menton la trace du doigt de la sainte Vierge qui a mis une tache blanche sur le cou des chats qui ne sont pas entièrement diaboliques, vient se frotter à ses jambes en ronronnant, et la minute suivante un grand diable est sorti de je ne sais où, avec sa barbiche, ses cornes et sa queue fléchée.

«alors il paraît que tu as besoin d’argent ? En ce moment pour moi aussi, les temps sont dur à la campagne : moins de paysans, donc moins d’âmes, c’est bien dur pour tout le monde. J’ai pourtant bien envie de faire un placement dans le coin, je pense que tu tombes à pic»

«Oh il ne me faut pas des mille et des cents, un petit peu me suffirait pour voir venir».

«Bon mettons nous bien d’accord : je ne te donnerai pas plus que tu le désires ce sera à toi de choisir : je passe demain chez toi, à la tombée de la nuit, et je te remplirai d’or le sac que tu veux. De sûr tu sais les conditions : à ta mort, ton âme sera à moi».

Pas bien rassuré, le paysan hésitait encore, et puis, pensant à ce qui restait à la ferme pour manger le lendemain et les jours suivants, il a fini par se décider..
Rentré dans sa pauvre ferme il était bien soucieux, sa femme s’en est bien rendu compte et à force qu’elle le tarabuste, il a fini par lui avouer ce qu’il venait de faire pour nourrir la famille.
«Est ce que vous avez convenu d’un lieu pour recevoir l’or»?
«Ma foi, non il a juste promis de remplir le sac que je lui tendrai».
« Alors mon homme c’est moi qui te donnerai le sac ce soir et je te dirai où te placer».

Le soir quand le diable arrive tout guilleret en songeant au marché qu’il va faire, il voit le paysan sur le toit de sa grange .
« Qu’est ce que tu fais là haut» ?
«Si ça ne vous fait rien, venez donc me rejoindre monsieur le diable, j’ai encore du travail sur ces tuiles je ne voudrais pas qu’en plus il pleuve dans ma grange même si elle est bien vide. Venez donc là avec vos écus moi j’ai un petit saccou».
Alors le diable, d’un saut de diable, vient s’asseoir lui aussi à califourchon sur le faite.
«Tu as un petit sac , tu n’est pas trop ambitieux» dit il en voyant le sac accroché dans la cheminée.
«Bah répond le paysan, remplissez le déjà, comme notre marché le veut».

Alors le diable sortant de ses poches des pièces comme s’il en pleuvait, commence à remplir le sac.
Et il versait et il versait, une fois deux fois, dix fois il avait beau maintenant avoir fait venir toute une bande de diablotins qui faisaient la chaîne depuis son coffre, comme font les paysans avec des seaux d’eau quand il y a un incendie, mais là il s’agissait de pièces d’or, et le sac n’était jamais plein.

Le bonhomme pleurnichait «chaque pièce me rapproche de mon triste destin, je suis bien malheureux».
Au bout d’un moment entendant un bruit cristallin, au dessous, dans la grange le diable se met en colère : «Tu veux m’obliger à remplir ta grange d’or alors que ton âme ne vaut pas cent écus ? Tu peux te la garder, moi je m’en vais » Là dessus sur un gros pet diable est parti.

Alors la femme sortit en riant de sa cuisine et dit à son homme tout ahuri :
«On l’a bien eu : je t’avais mis le sac dans la cheminée mais avant je lui avais coupé le cul».
«Que tu es maline ! sans toi j’allais être cramé»…
Ils vécurent longtemps en faisant la charité autour d’eux.

Je passe par le pré et je rentre chez moi.