Les mouches nous aideront-elles à mieux vieillir ? Cette découverte pose des questions vertigineuses
OuestFrance
Le risque de mort naturelle s’accroît avec l’âge. Mais le vieillissement n’est pas un phénomène continu. Une étude chez la mouche révèle qu’il se déroule en deux phases distinctes. Et même qu’il est possible de repousser la phase funeste en agissant sur certains gènes.
Le temps atteint les individus différemment. Une étude, publiée dans la revue Aging cell, le confirme d’une manière étonnante. Elle a été coordonnée par le chercheur CNRS Michael Rera, qui dirige l’équipe UteLife (Université Paris Cité, Inserm). Le généticien décortique les phénomènes liés au vieillissement, en étudiant la drosophile, cette minuscule « mouche du vinaigre », qui envahit les fruits mûrs.
Prédire la mort
En 2012, Michael Rera avait montré qu’on peut prédire la mort chez les mouches. « Elles vivent une cinquantaine de jours, mais nous pouvons repérer les individus dont l’espérance de vie n’est plus que de trois jours. » Et ce, quel que soit l’âge des insectes, dix ou quarante jours ! L’expérience a consisté à colorer leur nourriture en bleu. Le lendemain, certaines mouches ont perdu leur couleur habituelle, brun orange, et sont devenues bleues : elles mourront bientôt. Le colorant n’est pas toxique ; c’est l’intestin qui, à un moment donné, devient perméable. Le vieillissement est donc un phénomène en deux grandes phases distinctes « séparées par une phase plus ou moins abrupte ».
La nouvelle étude montre que « les marqueurs du vieillissement se retrouvent essentiellement chez les mouches bleues, c’est-à-dire en phase tardive de leur vie » . Ces marqueurs sont l’inflammation de plusieurs organes et « une forte diminution de la capacité à se mouvoir, alors que cet effet du temps n’est pas observé sur les mouches dans la première phase ». Les mouches (bleues) en fin de parcours « ont aussi beaucoup moins de molécules qui stockent l’énergie ».
Les chercheurs ont étudié les gènes des insectes. Présents dans toutes les cellules, les gènes ont plusieurs rôles, notamment pour reconstruire et réguler l’organisme, au fil du temps. Chez les humains par exemple, certains gènes sont responsables de la production de protéines (kératine), dont dépend la qualité des cheveux et de la peau. D’autres régulent la réponse immunitaire lors d’une infection
L’étude révèle que l’expression de plusieurs gènes diffère énormément entre les deux phases de la vie. Jeunes ou âgées, les mouches dans la première phase ont des gènes qui s’expriment de manière assez similaire. Puis tout bascule dès le passage en phase 2 ! « Contrairement à ce que l’on pensait, le niveau d’expression des gènes est lié à l’âge biologique, et non à l’âge chronologique », résume Michael Rera.
Une longévité augmentée de 10 %
Pour le vérifier, les scientifiques se sont intéressés à trois gènes de la mouche. « En modifiant l’expression de ces gènes, nous avons retardé l’entrée dans la phase de vie tardive. La longévité des individus a alors augmenté de plus de 10 % » .
Chez d’autres espèces animales, comme la souris et le poisson zèbre, l’équipe UteLife a montré qu’on peut aussi identifier les individus en phase de vie tardive. Alors, est-ce possible chez les humains et vieillissons-nous en deux temps ? « On ne peut pas le conclure pour le moment, précise Michael Rera. Même si des données épidémiologiques sur les pathologies liées à l’âge montrent qu’on détecte des changements biologiques plusieurs années avant le décès. » Si cette phase de vie tardive existe chez nous, elle dure « six à huit ans » environ. Peut-on modifier l’expression de nos gènes, comme chez la mouche, pour vivre plus longtemps ? « Ce n’est pas réalisable techniquement et j’ignore si c’est souhaitable », répond le généticien.
Après ces découvertes, on peut imaginer de diagnostiquer notre âge biologique, pour se soigner en conséquence. Des thérapies retarderont-elles l’entrée dans la dernière ligne droite de la vie ? Ces recherches posent de nouvelles questions vertigineuses sur le vieillissement.