Mamie en retard, train hors de contrôle… Ce cheminot de la SNCF raconte ses souvenirs les plus fous
OuestFrance
Il conduit des trains depuis 1999. En 25 ans de carrière, Wilfried Demaret, 48 ans, a vécu un tas de situations plus ou moins rocambolesques. Mamie en retard, train hors de contrôle, excès de confiance… Il raconte.
Wilfried Demaret manipule le storytelling (entendez-là, l’art de manier les mots pour raconter des histoires captivantes) et l’humour comme personne. Il n’est pourtant pas présentateur télé, ni acteur. Encore moins humoriste. Il est conducteur de trains pour la SNCF. Depuis 25 ans. Un quart de siècle passé à voyager sur les voies ferrées de France. Autant d’années écoulées dans les trains express régionaux (les fameux RER de la région parisienne), les TER (le réseau de transport express dans les autres régions de France) et les trains de fret, destinés aux marchandises.
Bref. L’homme de 48 ans est « trainophile », nous dit-il. Ne cherchez pas, le terme n’existe pas dans le dictionnaire. Mais on le note quand même. Il est bien pratique. Wilfried Demaret, c’est aussi un compte sur X (ex-Twitter), le réseau social du milliardaire américain Elon Musk. Le conducteur de trains y est suivi par près de 100 000 personnes. Sous le pseudonyme, « @BB27000 », il partage avec joie et toujours avec humour son amour pour les trains. Il raconte les moments qui ont marqué sa carrière. Petit florilège.
Pleine lune et neige « bleue »
Le meilleur d’abord. On est en 2008. C’est l’hiver. Wilfried Demaret conduit le train du soir. Le dernier au départ de Clermont-Ferrand, la capitale historique de l’Auvergne. Direction Aurillac. Le trajet n’est pas très long. Le train traverse « une des plus belles régions de France », si l’on en croit le conducteur. Sur cette ligne, le TER doit même passer par l’une des voies ferrées les plus hautes de l’Hexagone : le col du Lioran situé à 1 152 mètres d’altitude.
Dehors, le brouillard s’est levé. Wilfried Demaret redouble de vigilance. Il traverse un tunnel. « Et soudain, le choc », raconte-t-il. Au téléphone, sa voix s’émerveille encore : « Le moment était irréel, la lumière de la pleine lune illuminait la neige d’une lumière bleutée. C’était merveilleux. »
Roues bloquées et train hors de contrôle
Anecdote suivante. Rendez-vous en gare du Lioran. Décidément. Cette fois il fait jour. Wilfried Demaret commence en posant les bases. « C’est une belle journée d’été, il fait chaud, l’air est sec. » Sa vaillante locomotive qui roule au diesel, un certain modèle BB-674000 pour les plus connaisseurs, entame une descente vers Vic-sur-Cère. La petite commune est située à une vingtaine de kilomètres au sud de la gare du Lioran, « le sommet du Cantal », nous rappelle le conducteur. Vingt minutes de trajet maximum.
Seulement, rien ne se passe comme prévu. D’un coup, son train s’enraye. Les roues se bloquent. Et le train lui, prend de la vitesse, beaucoup de vitesse. Le compteur affiche 90 km/h au lieu de 40 km/h. La panique s’empare du conducteur. Il lui reste moins de deux kilomètres pour arrêter 240 tonnes de ferraille. Wilfried Demaret ne flanche pas. Garde son calme. Et réussis par miracle à reprendre le contrôle. Dans les wagons, les passagers ne se sont rendu compte de rien. Leur train arrive finalement en gare de Vic-sur-Cère, au ralenti.
Une grand-mère et 20 centimes
Autre histoire. Plus au nord cette fois. Direction le Val-d’Oise, Enghien-les-Bains. Sur le quai, une petite mamie fait un signe à Wilfried Demaret. L’homme est dans sa cabine de pilotage et doit démarrer le train d’un instant à l’autre. La femme âgée lève les bras dans sa direction. Le conducteur comprend : elle veut monter dans le train. Il attend alors patiemment.
La future passagère marche lentement, « très lentement », se souvient Wilfried Demaret. Une minute, puis deux, et trois. Après quatre minutes, elle atteint finalement la porte du wagon et s’engouffre à bord. Le train démarre. Le conducteur rattrape son retard. Arrivée à Paris, gare du Nord, la grand-mère arrive jusqu’à sa cabine. Tend la main et lui glisse une pièce de 20 centimes. Pour le remercier.
Deux voies, un train et un excès de confiance
Un moment de honte maintenant. Été 2002. On reste à la gare du Nord. Wilfried Demaret patiente tranquillement dans le hall. « Arrive, dit-il, une dame, lunette noire, canne blanche ». Lui, plein de bonne volonté, l’interpelle : « Bonjour, je suis cheminot, je peux vous aider ? » Elle : « Oui, je vais direction Persant. » C’est justement le train que Wilfried Demaret s’apprête à conduire. Il lui indique le quai n° 36 et l’accompagne sur le chemin. Elle, s’arrête. L’interroge. « Vous êtes sûr ? Il n’est pas voie 34 ? »
Un peu vexé, le conducteur lui fait remarquer qu’il en est certain : « C’est quand même moi le conducteur, je sais où est mon train. » Au même moment, la traditionnelle voix de la SNCF retentit dans la gare : « Le train pour Persant partira voie 34. » Silence. Demi-tour. Wilfried Demaret rebrousse le quai n° 36 avec sa passagère pour retrouver son train... à quai sur la voie 34. « C’était un grand moment de honte », s’en amuse-t-il maintenant.
Parfois, les anecdotes sont moins drôles. Il y a aussi cette fois où un jeune homme lui a demandé d’attendre avant de démarrer le train parce qu’il voulait se suicider dessous. Une triste réalité. Cette fois aussi où il a reçu des insultes de la part d’une femme d’une cinquantaine d’années « BCBG », parce que le train avait trois minutes de retard. Un peu excessif. Cet autre jour, encore, où on l’a menacé de mort « en plein milieu du Lot ». Étonnant. Heureusement, il lui reste des anecdotes marrantes à raconter : « Une fois, l’un de mes collègues cheminot a feint d’être malvoyant en montant dans sa cabine pour effrayer gentiment les passagers. » Ça a fonctionné.